La synergologie : une science ? Imprimer
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Depuis mi-2010, suite à la diffusion de diverses séries télévisées et autres émissions de radio ou de télévision, il me semble avoir beaucoup entendu parler de communication non verbale. L’une de ces émissions justement était une sorte de micro-trottoir réalisé sur les lieux d’un congrès de synergologie où formateurs et étudiants étaient interrogés. Le discours tenu, supporté par un blog et une page wikipédia était relativement intrigant, notamment certaines assertions comme : « la synergologie est une science réfutable au sens de Popper ». Sur la base de quelques supports appuyant la discipline et de certaines critiques disponibles en ligne, tentons de voir si c’est le cas. Attention, il ne s’agit pas ici d’une étude exhaustive mais d’un tour d’horizon général.

 

LES SUPPORTS

« La synergologie »

C’est un des livres écrits par P. TURCHET, le fondateur de la discipline. Il décrit cette discipline et est principalement constitué d’un lexique répertoriant ce que l’auteur appelle les micromouvements et leur signification.

L’ouvrage introduit dans un premier temps les raisons de leur existence. La société et la communication qui en découlent impliquent le mensonge. L’esprit s’y plierait mais pas le corps. Les micromouvements trahiraient cette opposition corps/esprit induite par le mensonge ou certains états d’esprit.

Puis suivent la description des différentes postures et geste à décrypter :

  • La position globale du corps (ouvert ou fermé) ;
  • Les différents types de micromouvements :
    • Microfixations, indices de concentration ;
    • Microcaresses, indices de bien être ;
    • Microdémangeaisons, indices de mensonges ;
  • Les indices laissés par les mains ;
  • Les règles de lecture du visage ;
  • Puis le corps du lexique, où sont détaillées, pour chaque partie du corps (cheveux, front, oreilles, torse, flanc, etc.) les différentes combinaisons de postures, micromouvements, interactions avec les mains, etc.

Le livre se ferme sur la charte de la synergologie et une conclusion qu’il me semble pouvoir résumer ainsi : des limitations sociétales dues à la nécessaire communication mise en place par la société impliquent une rupture entre corps et esprit où la raison est plus raisonnable que les sentiments.

La synergologie propose de faire des sentiments un objet scientifique.

 


 

www.synergologie.org

Le site web de la discipline est assez fouillé et propose de nombreuses ressources :

  • des propositions de formations et de conférences ;
  • archives (types articles, videos, interviews…) ;
  • un état de l’art dans le domaine de la communication non verbale. La synergologie s’appuie sur un grand nombre de travaux réalisés (école de Palo Alto, PNL…) dans le domaine, mais si elle en revendique l’influence, elle en propose aussi la critique ;
  • une description de la synergologie ;
  • sa méthodologie, organisée comme une charte (de 344 propositions) ;
  • un forum.

 


 

La page WIKIPEDIA dédiée au sujet

A l’époque de ma première visite (vers la mi-2010), globalement, la page wiki était l'équivalent du site. Depuis, celle-ci a été supprimée. La discussion relative à la suppression fait référence à de trop nombreuses autocitations, trop peu de sources. Le terme de pseudosciences est aussi utilisé. Mais ce ne peut être une raison en soi, étant donné le nombre de pseudosciences ayant leur page WIKIPEDIA. Entre les lignes, il me semble pouvoir penser que la page a été supprimée parce qu’elle ressemblait un peu trop à une publicité pour la synergologie qui est aussi une entreprise commerciale (livres, stages, formations longues). Mais c’est une interprétation personnelle.

 

 


 

CRITIQUES

La critique la plus détaillé et la mieux construite disponible en ligne est un article paru dans la revue « Communication », numéro Vol. 26/2, « Pour en finir avec la « synergologie » - une analyse critique d’une pseudoscience de « décodage non verbale » »  de P. LARDELLIER, paru en 2008. Comme le titre l’indique, l’auteur s’en prend violemment à la synergologie et pointe à la fois les défauts de la méthode et les dérives auxquelles, avec d’autres disciplines, elle amène.

Dans l’article, l’auteur insiste sur plusieurs aspects qui, pour lui, rendent caduques les prétentions de la discipline. Il insiste notamment sur trois d’entre eux :

  • Décontextualisation : l’interaction entre les individus prenant part à la communication n’est pas prise en compte. Quelle que soit la situation ou les rapports entre les intervenants, les micromouvements s’interprètent  de la même façon. Ils ont une signification intrinsèque ;
  • Simplification : par exemple, le thème de l’ouverture et de la fermeture dans les postures corporelles revient souvent et conditionne beaucoup l’interprétation ;
  • Absence de protocole : nulle part n’est cité un article ou un ouvrage décrivant le protocole mis en œuvre pour appuyer les interprétations de gestes proposées par la discipline ;
  • Pseudoscience : combinée au point précédent, le vocabulaire utilisé et les prétentions scientifiques affichées donnent à la synergologie les atours d’une pseudoscience.

L’auteur montre aussi quelques contradictions dans les ambitions des tenants de la synergologie, notamment dans la critique implicite, faite par cette discipline, du système éducatif (la société, par son formatage, donc entre autre par l’école, induit le mensonge et la rupture entre corps et esprit), alors qu’un de leurs objectifs affichés est d’obtenir la reconnaissance qui permettra d’entrer à l’université en tant que matière à part entière.

L’article dénonce aussi les dérives évidentes qui découlent de cette discipline. D’abord l’aspect commercial : la synergologie s’inscrit dans le champ du développement personnel et son fondateur propose stages, cours et « diplômes » par sessions de quelques jours pouvant être étalées sur plusieurs années, ainsi que des ouvrages traitant de communication, de séduction, etc. Ensuite, un aspect beaucoup plus grave et pas seulement lié à la synergologie, l’intrusion de pseudosciences comportementales dans le champ des ressources humaines. En effet, certains recruteurs n’hésitent pas à faire usage de la synergologie et autres disciplines dont la prétention est de décrypter les individus.

 

CONCLUSION

Il ne s’agit pas ici d’une étude exhaustive de ce qu’est la synergologie mais plutôt d’un rapide tour d’horizon s’appuyant sur seulement quelques documents. Ceux-ci sont cependant assez représentatifs je pense, que ce soit le livre, « la synergologie », où apparaissent certains défauts troublants, ou l’article paru dans Communication qui est une critique très virulente.

Certains aspects du livre peuvent semer le trouble :

  • Un foisonnement de citations.  Ce n’est pas nécessairement un défaut, sauf quand parfois les auteurs cités eux-mêmes critiquent la synergologie ;
  • Une affirmation d’universalité des micromouvements et de leur interprétation qui, parfois, est pourtant ambigüe. Certaines interviews en ligne viennent cependant pondérer cet aspect en revenant sur certaines données culturelles ou en faisant appel aux statistiques ;
  • Un usage abusif des lieux communs et des expressions toutes faites (renvois à la « sagesse populaire ») qui est, à mon sens un symptôme de l’appartenance de la discipline au champ du développement personnel ;

Mais surtout, il me semble que le plus gros problème est l’absence d’une description détaillée du protocole qui a permis de construire la synergologie. Les descriptions qu’on peut trouver sont très sommaires :

  • Une note de bas de page du livre parle de quelques centaines de personnes filmées à qui on pose la question ouverte : qu’attendez-vous de la vie ? Le sujet peut visionner sa réponse et la reformuler s’il veut ;
  • Le site parle d’analyse de vidéos, type rencontre sportive, les réactions des personnes, à une victoire par exemple ne sont pas feintes et peuvent être interprétées…

Même s’il est séduisant d’envisager que certains comportements inconscients peuvent avoir un caractère universel et surtout interprétable, la méthode proposée par la synergologie ne peut être considérée comme valide en l’absence d’un protocole détaillé, publié et soumis à la critique du monde des sciences humaines (communication, psychologie sociale, sociologie, etc.). Il est possible qu’un tel protocole existe et ait été validé, seulement il n’est pas disponible dans les ressources mises à disposition par les tenants de la discipline. Ce qui est dommage et étrange pour cette méthode en mal de reconnaissance universitaire.

 

Quentin Grando

 


 

 

Liens (màj : 16/01/2012) :

Synergologie :

www.synergologie.org

Critiques :

La page WIKIPEDIA dédiée au sujet

Pour en finir avec la « synergologie » - une analyse critique d’une pseudoscience de « décodage non verbale (Communication)

Synergologie : pas un geste ! (Observatoire zététique)

Connexes :

école de Palo Alto (Wikipédia)

PNL (Wikipédia)